Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/221

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midi pour le dîner et le soir pour souper. Elles étaient mises comme des demoiselles ; elles aimaient bien ma mère, qui avait eu soin d’elles comme de ses propres enfants ; mais elles avaient du bien du côté de leur mère, et elles nous méprisaient un peu parce que nous étions petits et que notre mère, à nous, n’avait rien eu que sa beauté, sa bonté et ses dix doigts. Je les entendais quelquefois, le dimanche matin, dire dans le cabinet où elles s’habillaient pour aller à l’église : « Je ne veux plus de ce fichu ; cette robe est trop usée ; donnons cela pour la petite ; c’est bien bon pour elle. » Elles n’étaient pas méchantes pourtant, mais elles étaient un peu fières pour les filles d’un vitrier.


IX


« Notre père était trop pauvre pour donner une servante à ma mère, et j’étais trop petite pour faire toute seule le ménage. Les voisines venaient bien de bon cœur, quand je les priais, tirer pour nous le seau du puits, mettre la grosse bûche au feu et pendre la marmite à la crémaillère ; mais ma mère et moi nous faisions tout le reste. Aussitôt que j’avais pu marcher seule dans la chambre, j’avais été la servante-née de la maison, les pieds de ma mère, qui n’en avait plus d’autres que les miens. Ayant sans cesse besoin de quelque chose qu’elle ne pouvait aller chercher au jardin, dans la cour, dans la chambre, au feu, sur l’évier, sur la table, sur un meuble, elle s’était accoutumée à se servir de moi avant l’âge, comme elle se serait servie d’une troisième main ; et moi j’étais fière, toute petite que j’étais, de me sentir nécessaire, utile, serviable comme une grande personne à la maison. Cela m’avait rendue attentive, mûre,