Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/246

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entré chez vous, j’ai marchandé pour avoir le temps de vous bien regarder ; j’ai fait semblant de me tromper de douze sous dans le compte, vous m’avez couru après comme si j’avais été le voleur et vous la volée, pour me rapporter mes douze sous, et voilà !

« — Je n’ai fait que mon devoir, père Cyprien, lui dis-je ; il n’y a pas de quoi être fière.

« — C’est vrai, dit-il, mais il n’est pas moins vrai que si vous voulez m’entendre, ces douze sous m’auront acheté une belle-fille, et à vous, Geneviève, vous auront acheté un bon mari. »

J’étais tellement secouée, monsieur, par les paroles de ce vieillard, que je n’ouvrais pas la bouche et que je n’osais pas seulement remuer le pied. Il avait l’air embarrassé, dans ce moment, lui-même, de ce qu’il allait dire. Il retournait sa langue sur ses lèvres, il balbutiait un peu, il se levait, il s’asseyait, il toussait. À la fin, comme s’il avait pris son courage à deux mains :

« — Bah ! dit-il, autant vaut un mot dit que cent mots à dire. Je vous dirai donc tout : Cyprien vous aime depuis sept ans. »

« Il me sembla qu’on m’ouvrait le cœur avec des paroles, et qu’on y faisait couler une chose douce qui ne tarissait plus, comme la félicité éternelle.

« — Oui, il y a sept ans qu’il vous aime, et nous n’avons jamais pu lui en faire aimer une autre, ni dans les montagnes, ni dans la plaine. Il aura du bien : les sapins, la maison et le pré de la fontaine sont à lui après moi ; il est doux et humble comme une jeune fille ; il est aimé des garçons, il plaît aux filles, et il n’est pas plus fier qu’un enfant. Et malgré cela, il nous a toujours dit : Je n’épouserais que Geneviève, si j’osais jamais être son courtisan. — Eh bien ! lui disions-nous, sa mère et