Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/300

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repoussait du bras, loin du lit : « Va-t’en, va-t’en, criait-elle ; je ne veux voir personne ; il est mort ; il est couché froid dans la terre ; je veux qu’on m’enterre avec lui ; je veux qu’on m’ensevelisse dans mon drap et qu’on plante trois croix demain sur ma tombe au cimetière ! » Puis elle s’enveloppait, en effet, la tête sous son drap, et restait là, immobile comme une morte. J’avais beau l’appeler, elle ne répondait pas, ou bien elle répondait : « Non, je suis morte ! » C’était une fièvre terrible : mais je n’osais pas appeler le médecin ni les voisines, de peur que la chose ne fût connue. Je lui donnais à boire entre ses dents, qui claquaient ; je lui parlais, je l’embrassais, je la reconsolais comme je pouvais, je pleurais avec elle et sur elle. Je priai Dieu au pied de son lit, ses pieds froids dans mes mains et sous mon souffle ! Ah ! quelle nuit !… Depuis celle où j’avais pleuré Cyprien, je n’en avais pas encore eu une pareille !

« Vers le matin, les convulsions, les cris, les délires cessèrent, et elle s’assoupit, les paupières pleines d’eau. Je remerciai Dieu. Elle se réveilla tard, tard, et elle avait repris la raison ; mais ce n’était plus la même enfant ; elle avait bien vieilli de cinq ans en une nuit ; on n’entendait quasi plus sa voix, son visage était devenu pâle comme le mien. Elle était sur le lit, les yeux fixés sur la boucle de cheveux qu’elle tenait dans ses mains jointes sur la couverture. Je m’étais lavé les yeux et habillée proprement pour servir les pratiques comme à l’ordinaire dans la boutique, pour que personne ne se doutât de rien. On me disait : Où est donc Josette ? — Elle est là qui dort plus tard que moi, répondais-je aux voisines ; ces jeunesses, c’est plus délicat que nous ! » Ou bien : « Elle est allée travailler chez sa tailleuse. » Ou bien : « Elle est allée à l’église entendre une messe pour sa mère. » Enfin, mille raisons.