Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/313

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vous ne savez donc pas comme le monde est cruel et comme il va vous prendre, toute votre vie, pour ce que vous allez dire que vous êtes ? Ah ! mam’selle, ne le faites pas ; gardez votre honneur ! on n’en a pas deux ! vous êtes perdue !

« — C’est plus fort que moi, mère Bélan, lui dis-je, c’est plus fort que moi. Je ne peux pas me faire à l’idée de vous savoir ici entre quatre murs pour nous avoir voulu rendre service ; je ne puis me faire à l’idée de voir le nom de la pauvre Josette, de mon enfant à moi, de mon ange à présent au ciel, mêlé avec un sourire de mépris sur les lèvres de tout Voiron, d’entendre chuchoter, toute ma vie, quand on parlera d’elle, des demi-mots qui feront rougir sa pauvre et chère âme dans le paradis, et puis de voir les paroissiens et les paroissiennes, dimanche prochain, quand ils sauront la vérité, arracher en passant les rubans blancs, les couronnes virginales, les branches de sa croix au cimetière, et balayer du pied les bouquets de fleurs blanches que les jeunes filles de son âge viennent renouveler tous les jours de fête sur sa fosse ! oh ! non, non, jamais je ne pourrais supporter cela, de voir ma sœur méprisée dans son cercueil, devant moi, et sa terre devenue une place nue et un signe de mépris parmi les jeunes filles, dans le cimetière où nous passons tous les jours pour entrer à l’église ! Il me semble que son âme n’aurait jamais de repos, malgré toutes les messes que je ferais dire, et que son fantôme viendrait toutes les nuits me tirer par les pieds et me reprocher de l’avoir laissé humilier dans sa terre ! Non ! non ! jamais ! j’aime mieux tout prendre sur moi. Eh bien, je puis supporter les soupçons et le mépris pour elle, moi, parce que j’ai ma conscience qui ne me reproche rien ! »

« Elle eut beau faire et beau dire, monsieur, mon parti