Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

habitait tout auprès de ce gros bourg. Ça me fit une joie au cœur que je ne puis vous dire, de voir des montagnes, des buissons, des prés, des métiers de tisserand et des toiles étendues sur l’herbe, tout comme à Voiron, sous les fenêtres de ma mère. Je restai trois ans bien tranquille et assez contente dans cette maison. Il n’y avait rien à souffrir des maîtres, excepté un peu d’avarice. Ils étaient pourtant bien à leur aise ; mais on dirait que la bourse est hydropique, monsieur, plus ça gonfle, plus ça gonfle, plus ça veut boire. Ils m’aimaient bien, parce que je ne demandais quasi point de gages, que j’avais un petit appétit et que je ne refusais aucun travail ; tellement que je faisais la cuisine, je soignais la dame et ses deux enfants, je bêchais le jardin, je blanchissais et je pansais le cheval de monsieur ; car il avait un cheval pour traîner la carriole dans laquelle il allait vendre ses toiles. La pauvre bête ! on lui disputait bien sa nourriture aussi ! Si je ne lui avais pas porté en cachette les épluchures des herbes de la cuisine, les tronçons de salade, elle aurait bien souvent mangé son râtelier. Mais je l’aimais, cette pauvre bête, quoi ! Elle hennissait dans l’écurie dès qu’elle entendait ma voix ou mon pas dans la cour, et, quand j’ouvrais la porte de l’étable, elle me regardait avec amitié comme une personne. C’est pourtant de cette avarice des maîtres à l’égard des animaux, et de la pitié que j’avais d’eux, que me vint mon dernier malheur, et puis mon bonheur après. Je vais vous conter cela ; mais vous allez rire… Eh bien, c’est pourtant vrai ; que voulez-vous ? le cœur entraîne à bien des fautes !