Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/355

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ni souliers aux pieds, et en regardant ma robe déchirée et souillée, dont les bords ressemblaient à un balai de chemin, j’avais si honte, si honte, si peur, si peur de l’idée qu’on aurait de moi en me voyant ainsi, que j’étais prête à me sauver sans boire ni manger, pour qu’on ne me vît pas.

« Mais au moment même où je me levais déjà de la litière pour fuir, j’entendis des pas de sabots qui descendaient, les uns lourds, les autres légers, l’escalier extérieur de la maison. La porte de l’étable s’ouvrit, et deux femmes y entrèrent en causant ensemble. L’une était une toute petite paysanne d’environ au plus seize ans ; l’autre était une belle jeune femme qui paraissait la maîtresse de l’autre, et qui montrait à peu près vingt-trois ou vingt-quatre ans. Quoiqu’elle se tînt droite et qu’elle marchât encore lentement, elle était enceinte ; sa robe lui remontait par devant bien au-dessus du cou-de-pied, et on voyait par là qu’elle était bien dans la fin du neuvième mois de sa portée.

« En voyant paraître ces deux visages dans la lumière auprès de la porte, au moment même où je venais de prendre la résolution de me sauver, je n’eus que le temps de baisser un peu la tête et de me cacher dans le fond de l’étable, derrière la génisse noire. Je pensais qu’elle était la dernière que les femmes viendraient traire et que j’aurais le temps, avant de me montrer à elles, de m’arranger les cheveux, et de cacher mes pieds nus dans la litière en leur parlant.

« — Claudine, dit la maîtresse d’une voix claire, douce et un peu lassée, comme la voix des femmes qui portent enfant, tu n’as donc pas mis la cheville dans la clavette, hier, en rentrant de faire la litière aux vaches, qu’elle pendait à la ficelle en dehors, quand nous sommes descendues ?