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peintre au château. En s’en allant, il laissait toujours quelque ébauche de son pinceau à mon grand-père, une figure, une tête, un trait de mœurs esquissé sur un lambeau de toile. On encadrait, après le départ du peintre, ces jeux négligés de son génie. Ces figures de Greuze ont été les premiers tableaux sur lesquels mes regards d’enfant se soient reposés ; c’est de là, je pense, que m’est venu ce sentiment de la beauté villageoise, beauté douce à l’œil, qui n’éblouit pas, mais qui touche, et dont l’expression uniforme et paisible rappelle la pénétrante mélancolie de ces notes simples que les flûtes des bergers font retentir toujours les mêmes dans le lointain, du fond de nos vallons boisés.


CXLV


Telle était la figure de Luce, la jeune femme du magníen. Les pervenches qui croissent à l’ombre, au bord d’une source, ne sont pas d’un bleu plus pâle et plus nuancé de reflets d’eau courante que ses yeux. Ses traits étaient calmes, la passion n’en ayant jamais altéré les lignes, même dans l’inquiétude et dans le chagrin qui pâlissaient et qui faisaient palpiter ses lèvres ; sa bouche avait ce pli de tendresse et ce sourire vague de bonté qui reste, pour ainsi dire, sculpté sur les bouches toujours entr’ouvertes des jeunes paysannes. De belles dents courtes et rangées comme des dents de brebis éclataient sous ses lèvres. Un chapeau rond, à forme tout à fait plate et à larges bords, relevés d’un galon de fil noir, couvrait sa coiffe blanche. Il en sortait à peine quelques nattes de cheveux noirs. Un fichu de laine rouge était croisé sur la poi-