Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/410

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est si bonne mère, elle aura soin de l’enfant pendant sa vie, et après elle, l’enfant trouvera tout ce que je laisse… N’est-ce pas, Luce ? dit-il en regardant sa femme ; cela ne va-t-il pas bien à ton idée comme cela ? »

Luce ne répondit pas, et se retourna contre le mur avec un geste de désespoir que la douceur habituelle de son caractère et le calme mélancolique de son attitude me firent trouver étrange. Depuis qu’on avait parlé de notaire, de testament, et que l’officier public était entré avec les témoins dans la chambre, elle paraissait en proie à une agitation qui n’avait pas seulement l’expression de la douleur, mais qui avait tous les symptômes de l’angoisse et de la convulsion de l’âme.

« Eh bien, signons, messieurs, » dit le notaire après avoir revêtu ce court testament des formalités d’usage.

Je m’avançai pour signer. Tout le monde était dans ce silence qui suit un grand acte suprême accompli. Je tenais la plume dans mes doigts et j’avais déjà écrit les premières lettres de mon nom de baptême. Un cri terrible de Luce fit tomber la plume de ma main.

« Arrêtez, monsieur, arrêtez ! ne signez pas ! cria-t-elle en se retournant tout à coup, le visage en feu, les mains suppliantes tournées vers son mari, en se jetant convulsivement à genoux devant le lit, et en se frappant la poitrine du poing comme quelqu’un qui se confesse et qui se punit soi-même d’un crime ! Arrêtez, messieurs : je suis une misérable ! je ne suis pas digne d’un si bon mari que le bon Dieu m’avait donné dans Jean, que voilà ! Je l’ai trompé ! J’ai menti huit ans de suite pour ne pas lui faire de la peine, et j’allais faire mentir à son insu la mort dans sa bouche pour ne pas déshériter un enfant que j’aime trop.

« — Un enfant que tu aimes trop, Luce ? dit le mari, étonné du geste et du cri de sa femme ; et pourquoi donc