Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/428

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plus à autre chose. Enfin cette folie me donna un courage et une hardiesse que je n’avais jamais eus de ma vie pour aucune chose au monde, et que je ne me suis jamais retrouvée depuis. Je résolus de me contenter, coûte que coûte. Voilà comment :

« J’allai un soir chez la mère Maraude, et je lui dis :

« — Vendez-moi le petit, le mien est mort ! J’ai du lait, j’en prendrai soin ; je ne dirai rien à Jean, il croira que c’est le sien ; vous, mettez votre doigt sur vos lèvres ; je recommanderai bien aux enfants qui ont porté le mien en terre de ne rien dire à Jean. La paroisse est loin, le curé est mort. Personne ne viendra lui parler de son enfant mort, et si jamais on lui en parle un jour, ce sera trop tard, il sera apprivoisé au petit, il ne voudra pas plus que moi s’en désapprivoiser.

« — Tout ça se peut, dit la voisine ; l’argent fait tout. Que me donnerez-vous pour mon enfant ? et que me donnerez-vous pour mon silence ? »

« Nous nous assîmes sur le bât de son âne dans sa cour, pendant qu’elle donnait une poignée de foin volé à ses bêtes, et le marché fut fait ainsi :

« Je lui laissai les six francs par mois de l’hospice avec la layette, comme si elle avait véritablement nourri et vêtu l’enfant trouvé chez elle, et il fut convenu que je lui prêterais l’enfant pour le montrer aux sœurs de l’hospice toutes les fois qu’on demanderait à s’assurer de son existence ;

« Et que, pour payer son silence, je lui donnerais tous les ans pour rien tous les fruits du poirier qui croissait au bout de notre verger, près de sa maison, et lui faisait tant d’envie et tant commettre de mauvaises actions pour s’en approprier les poires ; et que cela durerait tout le temps qu’elle ne dirait rien à Jean ni aux autres de notre arrangement.