Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Me montre, en souriant, et l’horizon lointain
Le Socrate éclairé des rayons du matin,
Longe les verts coteaux de la fraîche Sabine,
Vers la rive des mers d’un vol pressé décline,
Voit des déserts semés de superbes débris,
Traverse un fleuve étroit aux flots presque taris,
Et, s’abattant enfin sur les remparts de Rome :
« Voilà, s’écria-t-il, le dernier sort de l’homme !
C’est ici que, fuyant la mort de toutes parts,
De mille nations quelques restes épars
Par le souffle de Dieu balayés sur ces rives,
Cachent dans ces débris leurs tribus fugitives,
Soit que du sang sacré ces bords encor fumants
Résistent plus longtemps aux chocs des éléments,
Soit que l’Esprit fatal dont le monde est l’empire
Ne les ait réunis que pour mieux les séduire !
Tous les enfants d’Adam rassemblés dans ce lieu
Attendent dans l’effroi le jour, le jour de Dieu !
Tu l’as voulu, mon fils, tu le verras, mais pleure ! »
Il dit, reprend son vol, s’éloigne, et je demeure
Seul, invisible, errant comme une ombre sans corps,
Qui, s’échappant la nuit de la foule des morts,
Revient aux lieux chéris où l’instinct la rappelle
Chercher s’il est un cœur qui se souvienne d’elle,
Sur celui qu’elle aimait jette un œil éperdu,
Et désire de voir et tremble d’avoir vu.
Ainsi, de Romulus parcourant les collines,
Je cherchais les vivants cachés dans leurs ruines ;
Je suivais, je comptais les rares habitants,
Seuls débris échappés au naufrage du temps ;
Invisible témoin de leur funèbre drame,
J’entendais leurs discours, je lisais dans leur âme,
Et, frissonnant comme eux de tristesse et d’effroi,
Je m’écriais en vain : « Esprit, emportez-moi ! »