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DE L’ÉMANCIPATION

défend par toutes ses armes. La calomnie des intentions est le moyen le plus sûr de décréditer les saintes entreprises. Nous en sommes les exemples ; mais notre cause en deviendra-t-elle victime ? Non ; regardons la calomnie en face ; nous ne la ferons pas rougir, mais nous la ferons mentir : ce n’est qu’ainsi qu’on la confond.

Tout le monde, messieurs, a été calomnié dans cette cause : les Anglais, les colons, les esclaves et nous.

Oui, l’Angleterre a été calomniée indignement, et calomniée pour sa vertu même. N’avons-nous pas entendit mille fois, depuis vingt-cinq ans, répéter et dans les journaux, et dans les livres, et récemment à la tribune, que les généreux efforts de l’Angleterre contre la traite des nègres, que les cinq cents millions donnés par elle en échange de l’émancipation, n’étaient qu’un piège infâme, recouvert d’une philanthropie perfide, pour perdre ses propres colonies, auxquelles elle ne tenait plus, et pour forcer ainsi, par l’imitation, à anéantir les nôtres qui lui portaient ombrage ? Oui, cela a été dit, cela a été cru. L’absurde est infini dans ses inventions, comme la sottise est infinie dans sa crédulité. Oui, cela a été dit tout haut à la tribune d’une nation qui s’appelle la nation de l’intelligence, et cela n’a pas été étouffé sous les murmures de l’indignation nationale. Ô généreux esprits des Wilberforce, des Pitt, des Fox, des Canning, dont je vois les noms inscrits sur ces drapeaux et rayonnants sur cette fête, vous ne vous doutiez pas, pendant que vous tramiez cette conjuration évangélique, pendant que vous répandiez dans les trois royaumes et dans l’univers cette sainte agitation de la conscience du genre humain, pendant que vous arrosiez de votre sueur et de vos larmes ces tribunes, nouveaux champs de bataille où vous livriez les combats de la philanthropie, de la religion et de la raison persécutées, vous ne vous doutiez pas que vous n’aviez que du fiel, de la haine et de la perfidie dans le cœur ; que vous n’étiez que les hypocrites de la réhabilitation humaine, et qu’au fond vous n’aviez que le dessein, aussi pervers qu’insensé, de faire massacrer des millions d’Anglais par leurs esclaves, pour consumer les trois ou quatre petites colonies françaises dans l’immense incendie qui dévorerait vos vastes établissements et vos innombrables concitoyens.

Demandons pardon à Dieu et au temps d’avoir entendu de pareilles aberrations.

Les colons n’ont pas été moins calomniés. On a vu en eux des oppresseurs et des tyrans volontaires. Ils ne sont que des maîtres malheureux, gémissant eux-mêmes sur la funeste nature de propriété que la civilisation leur a infligée.

Les esclaves ont été calomnies et le sont tous les jours encore. On les peint comme des brutes pour s’excuser de n’en pas faire des hommes.

Mais nous-mêmes, messieurs, quelles injurieuses imputations n’avons-nous pas eu à subir ! On nous a demandé de quel droit nous nous