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RAPHAËL

descendais au jardin, sans me rendre compte du motif. J’y restais, malgré le froid de la nuit, les yeux attachés à sa fenêtre. J’avais de la peine à rentrer avant d’avoir entrevu son ombre, à travers les rideaux, ou entendu une note de son piano ou le timbre étrange de sa voix.

XIII

Le salon de l’appartement qu’elle occupait le soir touchait à ma chambre. Il n’en était séparé que par une grosse porte de chêne fermée par deux verrous. Je pouvais entendre confusément le bruit de ses pas, le frôlement de sa robe, le bruissement des feuillets du livre dont ses doigts tournaient les pages. Il me semblait même quelquefois entendre sa respiration.

J’avais placé instinctivement la table sur laquelle j’écrivais, et je posais ma lampe contre cette porte, parce que je me sentais moins seul quand j’avais ces légers mouvements de vie autour de moi. Je me figurais vivre à deux avec cette apparition qui remplissait insensiblement toutes mes journées. En un mot, j’avais en secret toutes les pensées, tous les empressements, tous les raffinements de la passion, avant de me douter encore que j’aimais. L’amour était pour moi non dans tel ou tel symptôme, dans tel regard, dans tel aveu, dans telle circonstance extérieure, contre lesquels j’aurais pu me prémunir. Il était comme ces miasmes invisibles répandus dans l’atmosphère qui m’environnait, dans l’air, dans la lumière, dans la saison mourante, dans l’isolement de mon existence, dans le rapprochement mystérieux de cette autre existence qui paraissait isolée aussi, dans ces longues courses qui ne m’éloignaient de cette inconnue que pour mieux me faire sentir