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TOUSSAINT LOUVERTURE.

Quelle place veux-tu que tienne dans son cœur
Ce vain amour d’enfant dont rit le blanc moqueur ?
Cette petite fille à la peau presque noire,
Qui fait, s’il s’en souvient, repentir sa mémoire ;
Qui marche les pieds nus, qui travaille des mains,
Qui cueille sa parure aux buissons des chemins,
Et qui n’a pour orner ses bras et ses oreilles
Qu’un rang de coquillage ou de graines vermeilles ;
Lui qui vit au milieu des blanches dont le teint
Des couleurs de la neige et de l’aube se peint ;
Qui les voit, aux rayons des flambeaux de leurs fêtes,
Des feux des diamants faire éblouir leurs têtes
Et rouler en chars d’or de palais en palais.
Ces reines de son cœur !… oh ! Dieu, que je les hais !
Écoute ; on dit tout bas, oh ! mais on ment, j’espère,
Que ces fils transplantés rougissent de leur père !…
Qu’ils croient, d’un lâche orgueil écoutant les conseils,
Des blancs, par ce mépris, devenir les pareils !
On dit qu’en rois futurs, nourris de flatteries,
On les tient en suspens entre les deux patries,
Destinés par les blancs à faire, à leur merci,
Des esclaves là-bas ou des tyrans ici !
Que le premier consul, sensible par adresse,
Pour ses desseins futurs à son geste les dresse ;
Et qu’Albert, subissant sa fascination,
Voit en lui père, mère, et race et nation.
On dit plus !… Une sœur du héros de la France
Semble le regarder d’un œil de préférence,
Et comme un grain de jais qui relève un collier,
Fière parmi sa cour le voit s’humilier.
Le crois-tu ?…