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LE TAILLEUR DE PIERRE

CHAPITRE III


Je boutonnai mes guêtres de cuir sur mes souliers à clous ; j’enlevai les grelots à mon chien pour qu’il n’épouvantât pas les chevreaux et n’avertît pas Claude en courant devant moi ; je pris mon fusil, ce bâton et ce génie familier du chasseur ; je traversai les prés de la vallée en faisant lever les grives, et je commençai à gravir lentement, à travers champs, les côtes d’abord douces, puis escarpées de la montagne. C’était le matin d’un dimanche ; je ne rencontrais personne dans les champs ; le jour était long devant moi ; je me retournais et je m’asseyais de temps en temps sur les racines d’un châtaignier pour jeter un long regard sur le bassin qui se creusait, de halte en halte, davantage sous mes yeux. Le soleil avait dépassé oisif la moitié du pan de ciel qu’il semble mesurer sur la vallée, et il penchait déjà un peu vers la montagne opposée, quand j’approchai de ce hameau ruiné des Huttes, d’où le tailleur de pierre recevait sans doute son nom. Je n’y étais pas monté depuis l’âge de onze ans, où ma mère m’avait retiré de la société des petits chevriers du pays pour me mettre dans le moule commun du collège, dans la société des régents, des écoliers et des livres. J’y montais une fois ou deux par an, à cette heureuse époque de mon enfance, avec les servantes de la maison, pour acheter des cabris au printemps et des châtaignes écorcées en automne, dans les deux ou trois cabanes qui composaient alors ce hameau.

Je reconnaissais bien les arbres, les sources sous les cressons et sous les pervenches, les mousses même sur les larges pierres grises qui sortent comme des ossements de la terre du lit des genêts ; mais les cabanes n’existaient plus. Je n’apercevais de loin, à leur place, que deux mor-