Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/420

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
419
DE SAINT-POINT.

d’amitié avait mis la confiance et la paix entre toutes les choses et entre tous les êtres de cette petite colonie de la montagne.

Je restai immobile et involontairement attendri à contempler tout cela. Je craignais maintenant d’y porter le trouble en réveillant Claude pour l’interroger. Si j’avais pu me retirer en silence et sans avoir été aperçu, je serais revenu sur mes pas. Mais, au moment où je me retournais pour aller attendre à la porte de sa cabane le réveil et le retour du tailleur de pierre, son chien flaira le mien. Il se dressa sur ses pattes de derrière en regardant de mon côté, et, élevant son museau vers le ciel, comme font les chiens en détresse ou surpris par un objet inattendu, il jeta un long hurlement d’angoisse et d’effroi pour éveiller son maître. Claude se releva sur son séant, regarda vers moi, me reconnut et fit quelques pas pour m’aborder avec un visible embarras. Je m’avançai moi-même alors avec un visage souriant pour le rassurer, et, lui prenant la main : « Je vois ce que c’est, Claude, lui dis-je ; vous vous sentez en faute envers moi, et vous avez peur que je ne vienne vous reprocher d’avoir déserté mon chantier. Rassurez-vous, rasseyez-vous où vous étiez, là, au milieu de votre famille de chèvres, de moutons, de lézards, d’abeilles et de chien. Tout cela est de la même famille que nous, n’est-ce pas ? Je les comprends et je les aime comme vous. Puisque le bon Dieu ne s’est pas trouvé trop grand pour les faire, nous ne devons pas nous trouver trop grands pour les fréquenter. »

Le chien se tut, la chèvre ne se leva pas de son creux dans l’herbe, les moutons continuèrent à bêler, la tête dans leurs jambes, les lézards à courir, les abeilles à bourdonner. Nous nous assîmes au soleil, l’un vis-à-vis de l’autre, lui sur son monticule, moi sur le mien, la tête dans la lumière du ciel, les pieds dans l’herbe de quelque sillon de tombe fermée et oubliée sous ce vert linceul