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DE SAINT-POINT.

mère ou ma sœur ? » Et cette terre ne semble-t-elle pas aussi nous répondre et nous aimer, nous, et nous dire : « Oui, je vous reconnais, vous êtes de moi ; chacun de vos membres et de vos os, c’est moi qui vous les ai donnés ! Je suis glorieuse de vous comme une mère de ses enfants, comme je suis glorieuse de ce hêtre, de ce sapin ou de ce châtaignier qu’on vient admirer sur mes pentes ! Vous seriez des ingrats si vous ne m’aimiez pas, si mon souvenir et mon image ne vous poursuivaient pas, quand vous êtes loin de moi, sur d’autres terres, et ne vous rappelaient pas la nuit, dans vos songes, à la colline qui vous a enfantés ! » N’est-il pas vrai, monsieur ? N’est-ce pas un peu de cela qu’on nomme dans la langue des villes le patriotisme ? N’est-ce pas aussi pour cela que les hommes vont en pèlerinage dans des lieux bien éloignés pour visiter la terre où ont vécu autrefois des hommes plus grands qu’eux, des noms plus fameux ou plus saints que les autres, et pour baiser la poussière de leurs pas sur le sol des montagnes qui les ont portés ? Excusez-moi, monsieur, je parle comme un ignorant ; mais vous me demandez ce que je pense, il faut bien vous le dire.

Eh bien, il y a des moments, les dimanches dans la saison, où, couché au soleil, sur cette terre qui sent et semble me rendre les battements de mon cœur, embrassant de mes deux mains des poignées d’herbe, le visage tout enseveli dans les mauves et dans les trèfles de ce petit enclos, au bourdonnement de ces milliers d’insectes dans mes oreilles, au souffle de cette foule de petites fleurs invisibles du printemps dans les mousses, je sens des frissons de vie et de mort sur tout mon corps, comme si le bon Dieu m’avait réellement touché du bout d’un de ces rayons de son soleil ; comme si mon père, ma mère, mes sœurs, et tous ceux et toutes celles que j’ai aimés, se ranimaient et palpitaient sous l’herbe, dans cette terre, pour me reconnaître et pour m’attirer dans leur sein. Oh ! qui est-ce qui