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DE SAINT-POINT.

bien connu, moi, quand j’ai vu que vous vous écartiez l’un et l’autre, elle pour aller au bord du puits, toi pour aller le long des sauges, tout seuls comme deux jeunes bêtes qui s’égarent. Quand le cœur est léger, on ne le porte pas à deux mains comme ça. Je savais bien que vous finiriez par vous rencontrer une fois sans vous chercher, et que tous les sentiers mènent au grand chemin. Mais je ne voulais rien dire, de peur de faire tomber le fruit avant sa saison et de dire le mot avant le cœur. Maintenant il faut vous fiancer, et j’en suis bien contente, au contraire, car ça finira toutes les affaires avec les parents et tous les partages entre les trois huttes que les enfants du coquetier demandent. Les deux domaines ne feront plus qu’un, tout comme vous deux vous ne ferez qu’un ménage. N’est-ce pas, Claude ? N’est-ce pas, Denise ? »

Nous ne dîmes rien et nous n’osâmes pas seulement lever les yeux pour nous regarder. Mais nous continuâmes à marcher l’un derrière l’autre vers la hutte. La mère avait dit trop vrai : nous nous aimions sans le savoir.


CHAPITRE VIII


« Maintenant, ajouta ma mère, vous pouvez vous parler. Se parler, dans notre langage, ça veut dire se faire honnêtement la cour avant les fiançailles.

» Je pendis mon sac au clou. Je repris mes outils et je dévalai tout joyeux la montagne pour faire ma journée à la carrière. Mais je gâtai bien des pierres ce jour-là. Le marteau allait comme chantait la tête. Je voyais le visage de Denise comme un arc-en-ciel dans la poussière que faisait voler mon ciseau. Je regardais toujours si le soleil ne se couchait pas, pour avoir le droit de quitter le travail et