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LE TAILLEUR DE PIERRE

» Elle fondit en larmes à ces mots et se sauva dans le grenier à foin pour pleurer tout le jour. On l’entendait sangloter de la maison à travers les claies du plancher.

» Alors ma mère vint à son tour et me dit :

» — Claude, je t’avais dit qu’il fallait vous fiancer, Denise et toi. Je croyais que c’était la volonté de Dieu et le bien de la maison ; mais je vois bien que ce serait une faute que le bon Dieu punit, et que ça ferait le malheur de celui qui est déjà le plus malheureux de tous, de mon pauvre Gratien ! Il aime Denise autant que toi, vois-tu ! peut-être encore davantage, parce qu’elle n’est que ton plaisir, et qu’elle est sa lumière, à lui ! Que veux-tu faire ? Veux-tu que ton frère n’ait plus de bâton vivant toute sa vie pour conduire ses pas, et qu’il tombe à chaque pas dans le creux des chemins ou dans le creux de son cœur ? Ou bien veux-tu sentir toujours là, tout seul, au coin du foyer de la maison, un malheureux dont chaque respiration sera un reproche et une condamnation de ta dureté pour lui ? Encore une fois, que veux-tu faire ?

» — Je veux faire ce que vous commandez, ma mère, coûte que coûte. J’aime mieux Denise que la clarté du ciel dans mes yeux, c’est vrai ! mais j’aime mieux la paix dans la maison, l’obéissance à votre volonté et la grâce de Dieu que mon bonheur même. Ainsi, commandez, ma mère, et je ferai sans murmure ce que vous aurez dit.

» — Eh bien ! va-t’en, dit-elle en me passant les deux bras autour du cou en sanglotant sur ma tête ! va-t’en, mon pauvre Claude ! » Et elle me retenait pourtant tout en me serrant sur sa poitrine. En levant les yeux vers la fenêtre du fenil, je vis Denise qui avait tout vu, tout entendu, qui s’essuyait les yeux avec le bord de son tablier. J’entendis le mot : « Adieu, Claude ! » à travers la toile et à travers son sanglot. Ça fut dit, monsieur ; je pris mon cœur à deux mains, je pris mon sac au clou, et je descendis la montagne sans me retourner, de peur de ne pas pouvoir