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DE SAINT-POINT.

donc que tu ne veux pas te marier, Claude ? Il y en a bien dans le pays qui te prendraient pour ton bon cœur et pour tes deux bras encore ! » Alors, monsieur, je ne répondais rien, je devenais tout rouge ou tout pâle en pensant à Denise, et je m’en allais regarder couler la rivière ou courir les nuages sur les hautes montagnes.

Je revins rêveur au village, n’ayant pas osé, ce jour-là, sonder plus avant dans le cœur du pauvre tailleur de pierre.


CHAPITRE IX


Je remontai le dimanche suivant ; je le trouvai au fond du ravin, à peu près à l’endroit où son frère l’aveugle était tombé ou s’était jeté dans la nuit de son désespoir. Il était assis non loin de ses chèvres, qui broutaient. Le bruit qu’elles faisaient en secouant les jeunes branches, en détachant le gravier sous leurs sabots de corne, et le petit gazouillement du ruisseau sur les cailloux de son lit, empêchaient Claude de m’entendre. Il était au pied d’un sorbier dont les feuilles légères et découpées laissaient pleuvoir sur lui et sur l’herbe autour de lui de légers rayons du soleil dans l’ombre, comme des lucioles vivantes se poursuivant la nuit sur le bord d’un large fossé.

Au milieu de ce site, bien plus enchanté pour Claude que pour moi, puisqu’il était la scène de son enfance, de toute sa vie, et qu’il le revêtait, pour ainsi dire, de toutes ses impressions, de tous ses souvenirs, Claude semblait absorbé dans la contemplation de ce qui l’entourait. On eût dit qu’il faisait partie vivante, végétante ou pétrifiée de la terre, et qu’il y était aussi enraciné que le tronc du sorbier contre lequel il s’appuyait. Je me gardai bien de le déranger par aucun bruit importun et prématuré ; j’étais