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LE TAILLEUR DE PIERRE

je tout bas. C’était elle, monsieur, je l’avais bien vue passer à la lueur du feu. Elle portait quelque chose à la main comme une tasse qu’elle était venue prendre sur le feu, et elle la portait du côté de l’ombre, vers un lit qui était au fond de la chambre. Je tombai un instant à la renverse sur un tas de fagots qui étaient sur le rocher, et il me fallut un effort et du temps pour me remettre sur mes jambes et pour reprendre ma place à la lucarne. Alors non-seulement je vis, mais j’entendis distinctement une voix cassée et amicale, la voix de ma mère, qui disait du fond du lit : « Merci, ma pauvre Denise ! je te donne bien des ennuis et je te fais coucher bien tard et lever matin ; mais, grâce à Dieu, tu n’auras pas longtemps à prendre ces peines ; le bon Dieu ne tardera pas à me mettre en repos. »

» Ah ! monsieur, je compris que ma mère était bien malade, mais qu’au moins je pourrais lui dire adieu et recevoir sa bénédiction avant son décès. Le cœur me fendit et je me pris à pleurer.

» Je passai la main contre la vitre pour effacer le brouillard de mon souffle qui m’empêchait de nouveau de tout voir dans la chambre, et voilà ce que je vis :

» D’abord, l’escabeau de ma mère auprès du feu était vide : on avait mis dessus le coffre à sel et le sac de farine de blé noir. Je compris que ma mère ne sortait plus du lit depuis longtemps, et que sa place était pour jamais vacante au coin de la cendre.

» Ensuite, je vis le petit trépied de bois de noyer sur lequel s’asseyait tous les soirs mon frère pour tiller le chanvre, renversé, les pieds en l’air, dans un coin de la chambre. Son bâton d’aveugle, qu’il tenait toujours entre les jambes, même à la maison, pour toucher de loin ceci ou cela, était rangé avec des manches de pioche et de râteau contre le mur, le long de la pierre de la cheminée, et il y avait dessus de la poussière et des toiles d’araignée. Je me doutai que mon pauvre frère était mort, puisque