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DE SAINT-POINT.

Denise venait autrefois m’apporter ma mérende, un découvert en voûte creux comme une caverne, d’où je tirais des blocs épais, carrés, sains et jaunes comme du beurre, qui auraient suffi à construire un pilier de cathédrale. J’avais retrouvé mes bras de dix-huit ans. À chaque coup de pic, je me disais, en voyant tomber ma sueur en gouttes de pluie sur la pierre : « C’est pour elle ! » Et je me sentais plus vigoureux le soir que le matin. Ah ! c’est un bon repos que l’amour tranquille dans le cœur !

» Et à la maison tout le monde était gai, jusqu’aux petits.

» Ma mère avait fait des beignets et des gaufres de sarrasin pour le jour de la noce, qui était le mardi de la Saint-Jean d’été. Elle avait invité les parents, garçons et filles, qui étaient au village ou répandus ici et là dans les hameaux. Il y en avait une douzaine, petits ou grands, tant fils et filles du coquetier que d’autres. Les tailleuses étaient venues faire la robe et la coiffe de noces à Denise, et elles lui essayaient tout le jour tantôt ceci, tantôt cela. Vous auriez entendu jaboter et rire dans la maison du matin au soir.

» Moi, monsieur, je riais un moment avec eux, et puis je redescendais travailler, mais sans tenir longtemps au travail depuis les derniers jours. Mon cœur était trop avec Denise. Pourtant j’avais préparé aussi une surprise à la noce et un bouquet, comme on dit, au feu d’artifice de la Saint-Jean, qu’on a coutume d’allumer sur nos montagnes la veille de cette fête, et un coup de boîte plus fort que ceux qu’on tire chez nous aux noces en signe de réjouissance. Je travaillais secrètement depuis huit jours à creuser une mine comme j’en avais vu creuser dans les rochers de Toulon, capable de faire sauter toute la voûte sous les sapins de ma carrière, et de me donner sans peine des matériaux pour tailler pendant plus de six mois.

» Je n’en avais rien dit à personne, pas même à Denise,