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DE SAINT-POINT.

régaler ; mais je ne prendrai pas votre bien, parce que je ne pourrais jamais vous le rendre. »

» Nous eûmes beau dire, monsieur, rien n’y fit ; il ne voulut pas boire le bouillon qui l’aurait fortifié ; il n’accepta que du pain. Ma femme laissa l’écuelle pleine sur la planche de son lit, et nous nous en allâmes. Le lendemain, quand je revins pour lui tenir compagnie le dimanche, l’écuelle pleine était encore où nous l’avions laissée, et lui, monsieur, il était mort de faiblesse avec son chien noir sur ses pieds. Ah ! celui-là était bien un saint du bon Dieu, allez ! »

Maintenant, quand l’automne me ramène à Saint-Point, je remonte une fois aux Huttes, au moment où les feuilles des châtaigniers tombent. La tombe du pauvre Claude m’inspire la prière, la résignation et la paix. J’aime à m’y asseoir au coucher du soleil, à penser à Denise et à lui réunis sous les rayons du soleil qui ne se couche plus.

Et cet homme me manque dans la vallée. La petite lampe que je voyais de ma fenêtre luire la nuit à travers les brumes de la montagne est comme une étoile qui se serait éteinte dans le pan du ciel, ou comme un ver luisant qu’on a l’habitude de voir éclairer l’herbe sous le buisson, et qui tout à coup s’obscurcit sous les pieds. Ce n’était qu’un ver de terre, mais ce ver de terre contenait une parcelle du feu des soleils. Ainsi était le pauvre Claude.

Quelquefois, au milieu des champs, quand tout fait silence dans la vallée sous la brûlante atmosphère du midi, un jour d’été, j’écoute involontairement, l’oreille inclinée du côté de la montagne, et je crois entendre son marteau régulier et lointain tomber et retomber sur la pierre sonore, comme un balancier rustique du cadran de l’éternité.


fin du tailleur de pierre de saint-point.