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JEANNE D’ARC.

fallait que le Dauphin lui donnât des écuyers et des trompettes pour proclamer partout qu’on lui devait apporter les trésors enfouis, et qu’elle saurait bien les découvrir. » Ainsi, quand un miasme est dans l’air, tout le monde le respire. La pitié de la France, la tendresse pour le Dauphin, la haine contre les Bourguignons, l’horreur de la domination étrangère, fanatisaient les femmes. Toutes entendaient le cri de la terre, quelques-unes les voix d’en haut. De plus, les poëtes, les romanciers et les conteurs ambulants du moyen âge avaient habitué les imaginations aux rôles belliqueux joués par des femmes, ainsi qu’on le retrouve dans le Tasse et dans l’Arioste. Elles suivaient leurs amants aux croisades, leur servaient de pages ou d’écuyers, revêtaient l’armure, maniaient le coursier, versaient leur sang pour leur Dieu, pour leur patrie ou pour leur amour. Ces déguisements de la femme sous la cuirasse donnaient aux guerres, même civiles, le caractère de chevalerie, les aventures touchantes et le merveilleux romanesque qui faisaient songer les enfants, et qui devaient produire de fréquentes imitations. Il se rencontre toujours un être d’exception pour réaliser ce qui est imaginé par tous. L’idée d’une jeune fille conduisant les armées au combat, couronnant son jeune roi et délivrant son pays, était née de la Bible et du fabliau à la fois. C’était la poésie des veillées de village. Jeanne d’Arc en fit la religion de la patrie.

Son père, homme d’âge et austère, entendit avec peine ces bruits de visions et de merveilles sous son toit de paysan. Il ne croyait point sa famille digne de ces faveurs dangereuses du ciel, et de ces visites d’anges et de saintes qui faisaient causer ses voisins. Toute relation avec les esprits lui était suspecte, à une époque surtout où la crédulité superstitieuse attribuait tant de choses aux mauvais esprits, et où l’exorcisme et le bûcher punissaient de feu