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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/146

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JEANNE D’ARC.

modestement, mais sans hésitation, vers lui, elle tomba à genoux devant le jeune roi. « Ce n’est pas moi qui suis le roi, » lui dit le prince, en cherchant à la jeter dans le doute. Mais Jeanne, que son cœur illuminait, insistant avec plus de force : « Par mon Dieu, gentil prince, c’est vous, dit-elle, et non un autre ! » Puis d’une voix plus haute et plus solennelle : « Très-noble seigneur, Dauphin, poursuivit Jeanne, le Roi des cieux vous mande par moi que vous serez sacré et couronné dans la ville de Reims, et son lieutenant au royaume de France ! »

A ce signe la cour s’émerveilla, et le Dauphin s’émut d’admiration pour la belle fille. Toutefois il voulut un autre signe plus difficile et plus secret ; et, l’entraînant à l’écart de sa cour dans une embrasure de fenêtre, il s’entretint a voix basse avec elle sur un mystère de son âme qui travaillait sa conscience, et qui lui inspirait secrètement des doutes sur son droit au trône. Ce mystère n’avait jamais été révélé par lui à personne. Il était de nature à faire rougir sa mère, et à détacher de son front la couronne. La conduite d’Isabeau de Bavière le laissait incertain s’il était véritablement le fils de Charles VI. La réponse inspirée de Jeanne, bien qu’elle ne fût pas entendue des assistants, répandit visiblement la sécurité et la joie sur le visage du Dauphin. Souvent, et récemment encore, il s’était enfermé dans son oratoire, priant Dieu avec larmes que, s’il était en effet le légitime héritier du royaume, la Providence voulût le lui confirmer, et défendre son héritage pour lui, ou du moins lui éviter la mort, et lui assurer asile parmi les Espagnols ou les Écossais, ses seuls amis. « Je te dis, de la part de Dieu, lui répète Jeanne à, voix plus haute, en le saluant, que tu es vrai fils de roi, et héritier de la France ! »

Cet entretien avec le roi, la faveur des princesses, les instances des envoyés de l’armée d’Orléans, la rumeur populaire, plus prête à se passionner pour le merveilleux