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JEANNE D’ARC.

mur du rempart, elle y monte la première, l’épée dans la main. Une flèche lui traverse le cou vers l’épaule ; elle roule inanimée dans le fossé. Les Anglais, pour qui Jeanne serait une victoire, sortent des retranchements pour l’enlever. Gamaches la couvre de sa hache et de son corps. Les Français reviennent à sa voix, et la délivrent. Elle reprend ses sens, et voit Gamaches blessé et vainqueur pour elle. « Ah ! dit-elle en se repentant de l’avoir une fois contristé, prenez mon cheval, et sans rançon ! J’avais tort de mal penser de vous, car jamais je ne vis un plus généreux chevalier. » On emporta Jeanne a l’abri, pour la désarmer et pour visiter sa blessure. La flèche sortait de deux largeurs de main derrière l’épaule. Le sang l’inondait. Elle fut contrainte, comme Clorinde, de livrer les beautés pudiques de son corps aux regards et à la main des hommes. Mais la chasteté de son âme et la pureté de son sang versé pour la patrie l’enveloppaient, dit Daulon, d’une telle sainteté dans sa nudité même, que nul, en l’admirant, ne concevait l’idée d’une profanation. Plus ange que femme aux yeux des combattants et du peuple, la divinité de son rôle la revêtait.

Elle était femme et faible pourtant, car elle pleura en voyant son sang couler. Puis elle se reconsola, en priant ses célestes protectrices dans le ciel. Elle arracha ensuite la flèche de sa propre main, et répondit aux hommes d’armes qui lui recommandaient des remèdes superstitieux d’enchanteurs et de paroles magiques, en usage alors dans les camps : « J’aimerais mieux mourir que de pécher ainsi contre la volonté de Dieu. » On pansa sa blessure avec de l’huile, et elle remonta à cheval pour suivre à regret l’armée et le peuple découragés, qui se retiraient.

Elle entra, pour prier, dans une grange. Le cœur lui disait encore de combattre, mais elle n’osait tenter Dieu et résister à l’avis des capitaines.