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HÉLOISE. — ABÉLARD.

plus humble des pèlerins ou des étrangers. J’ajoutais qu’au besoin il trouverait même indulgence pour des erreurs involontaires. Pendant qu’il se reposait à l’abbaye, l’abbé de Clairvaux y vint. Nous nous entretînmes ensemble charitablement de réconcilier Abélard, mon hôte, avec cet abbé Bernard qui l’a réduit à la nécessité d’en appeler à vous. Je n’ai rien épargné pour ce raccommodement ; j’ai conseillé à mon hôte de retrancher de ses écrits, par le conseil de Bernard lui-même et d’autres hommes prudents, tout ce qui pourrait offenser les scrupules de la foi. Abélard y a consenti. La réconciliation a eu lieu de ce moment, par mon conseil, mais plus encore par une inspiration de la Providence. Abélard, notre hôte, a dit adieu pour jamais aux agitations des études et des écoles ; il a choisi Cluny pour son dernier et perpétuel asile… Je vous supplie donc, moi le plus humble et le plus dévoué de vos serviteurs, le monastère tout entier de Cluny vous supplie, Abélard vous supplie lui-même, par lui, par nous, par les messagers qui vous portent ces lettres, par ces lettres elles-mêmes, nous vous supplions tous de lui permettre de passer à Cluny les derniers jours qui restent à sa vie et à sa vieillesse ; et bien peu de jours, hélas ! lui restent à vivre ! Nous vous conjurons tous de ne pas permettre que les persécutions de qui que ce soit l’inquiètent ou le chassent de cette maison, sous le toit de laquelle, comme le passereau qui cherche un nid, il se réjouit tant d’avoir trouvé un asile, semblable à la tourterelle qui se réjouit tant d’avoir trouvé où se poser !… Ne refusez pas votre sauvegarde à un homme que vous avez autrefois tant aimé !… »

Une si touchante invocation de l’amitié, et la mémoire toujours vivante de l’enthousiasme qu’il avait eu jadis pour l’orateur et le poëte de sa jeunesse, ne pouvaient manquer de toucher le pape. Il accorda à Pierre le Vénérable la grâce et la protection qu’il implorait pour Abélard. Abé-