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GUILLAUME TELL.

Friesshardt. — Très-puissant seigneur, je suis un de tes soldats placé en sentinelle près de ce chapeau. J’ai saisi cet homme sur le fait, comme il se refusait de le saluer. Je voulais le conduire en prison, selon tes ordres, et le peuple a voulu me faire violence pour l’enlever.

Gessler, après un moment de silence. — Tell, méprises-tu donc ainsi l’empereur et moi, qui tiens sa place, pour avoir refusé d’honorer ce chapeau que j’ai fait suspendre afin d’éprouver votre obéissance ? Tu me laisses voir par là tes mauvaises intentions.

Tell. — Mon bon seigneur, pardonnez-moi. J’ai agi par inadvertance, et non par dédain de vos ordres. Aussi vrai comme je m’appelle Tell, c’est par défaut de réflexion.

Gessler, après un moment de silence. — Tell, tu es un maître archer ; on dit que tu atteins à chaque coup ton but.

Walther. — C’est vrai, monseigneur ; mon père abat une pomme à cent pas.

Gessler. — C’est la ton enfant, Tell ?

Tell. — Oui, monseigneur.

Gessler. — As-tu plusieurs enfants ?

Tell. — J’ai deux fils, monseigneur.

Gessler. — Et lequel aimes-tu le mieux ?

Tell. — Monseigneur, mes deux enfants me sont également chers.

Gessler. — Eh bien, Tell, puisque tu abats une pomme à cent pas, il faut que tu fasses devant moi l’épreuve de ton adresse. Prends ton arbalète ; justement tu la tiens à la main. Apprête-toi à abattre une pomme placée sur la tête de ton enfant. Mais je te conseille de viser juste et de frapper la pomme du premier coup ; car si tu la manques, il t’en coûtera la tête.

Tell. — Monseigneur, quel horrible commandement vous me donnez ! Quoi ! je devrais sur la tête de mon enfant… Non, non, mon bon seigneur, cela n’a pu vous venir dans l’esprit. Au nom du Dieu de miséricorde, vous ne pouvez sérieusement exiger cela d’un père.

Gessler. — Tu viseras une pomme placée sur la tête de ton enfant !… Je le veux et je l’ordonne.