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GUILLAUME TELL.

que huit siècles ne devaient plus éteindre. Cette date se confondait avec le nom de Tell, qui avait été, sinon le fondateur, du moins l’occasion de la liberté de son pays. Heureux les hommes dont les noms sont de telles dates et nomment leur peuple ! La postérité ne leur demande plus leur titre à la gloire, mais elle les confond avec la grandeur, la vertu, l’éternité de leur race, et elle les bénit dans les derniers de leurs descendants !

Il en est ainsi de ce pauvre paysan nommé Guillaume Tell. Sa simplicité à une merveilleuse analogie avec le pays simple et pastoral qui célèbre a jamais son nom et son aventure dans ses traditions. Son image, celle de sa femme et de ses fils, se marient agréablement aux paysages grandioses, rustiques et riants de l’Helvétie, cette Arcadie moderne. Toutes les fois que le voyageur les visite ; que les cimes indomptées du mont Blanc, du Saint-Gothard, du Rigi, s’élancent à ses yeux dans le firmament, comme le drapeau teint par le ciel de la liberté ; que le lac des Quatre-Cantons montre une barque chancelante sur la cime bleue de ses vagues ; que la cascade s’écroule en poussière du haut du Splughen, et se brise sur les rocs comme la tyrannie sur des cœurs libres ; que les ruines d’une forteresse de l’Autriche assombrissent de leurs pans de murailles un mamelon d’Uri ou de Glaris, et qu’un rayon de soleil serein dore, au penchant d’un village, le velours vert d’une prairie où paissent les troupeaux, au son des clochettes et au ranz des vaches, l’imagination voit, a l’origine et au centre de toutes ces scènes, le chapeau élevé au sommet du sapin, l’archer condamné à viser la pomme sur la tête de son enfant, la pomme qui tombe traversée par la flèche ; le père enchaîné au fond de la barque, domptant, la nuit, la tempête et sa propre colère pour sauver son bourreau ; puis, quand le bourreau ingrat menace sa femme et ses trois fils d’une mort cruelle, cé-