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GUTENBERG.

instants, Jean passait ses doigts dans sa barbe, avec un mouvement rapide de joie. C’est que l’ermite de la cellule cherchait un problème dont il entrevoyait la solution. Soudain Gutenberg se lève, et un cri sort de sa poitrine : c’était comme le soulagement d’une pensée longtemps comprimée. Jean court vers un bahut, l’ouvre et en tire un instrument tranchant ; puis, en proie à des mouvements saccadés, il se met à découper un petit morceau de bois ; dans tous ses mouvements il y avait ! de la joie et de l’anxiété, comme s’il craignait de voir s’échapper son idée, diamant qu’il avait trouvé et qu’il voulait fixer et tailler pour la postérité. Jean taillait rudement et avec une activité fébrile ; son front se couvrait de gouttes de sueur, tandis que ses yeux suivaient avec ardeur le progrès de son travail. Il travailla ainsi longtemps, mais ce temps lui parut court. Enfin il trempe le bois dans une liqueur noirâtre, le pose sur un parchemin, et, pesant de tout le poids de son corps sur sa main, il s’en sert comme d’une presse, il imprime la première lettre qu’il avait taillée en relief. Il contemple son œuvre, et un second cri, plein de l’extase du génie satisfait. s’exhale de sa bouche. Il ferme les yeux avec un air de béatitude telle que les saints du paradis pouvaient en être jaloux, et tombe épuisé sur un escabeau ; et quand le sommeil s’empara de lui, il murmurait : « Je suis immortel ! »

Alors il eut un songe qui troubla son âme.

« J’entendis deux voix, dit-il, deux voix inconnues et d’un timbre bien différent, qui me parlaient alternativement dans l’âme. L’une me dit : « Réjouis-toi, Jean, tu es immortel ! Désormais toute lumière se répandra par toi dans le monde ! Les peuples qui vivent à des milliers de lieues de toi, étrangers aux pensées de notre pays, liront et comprendront toutes les pensées aujourd’hui muettes