Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
MADAME DE SÉVIGNÉ.

l’attend avec une impatience incroyable, ne peut pas se mettre en chemin, parce qu’il n’y a pas de sûreté, et qu’il est vrai que cet hiver est épouvantable ; il n’a pas gelé un moment, et il a plu tous les jours comme des pluies d’orage ; il ne passe plus aucun bateau sous les ponts ; les arches du Pont-Neuf sont quasi comblées : enfin c’est une chose étrange. »

Enfin le jour arrive ; l’adieu est consommé ; il faut assister dans son cœur même à ses durs moments. On ne sait le plus ou le moins cruel d’avant ou d’après la séparation. Le carrosse de la fille n’est pas encore aux barrières de Paris que déjà la mère s’assied pour lui écrire, espérant la rejoindre au moins par la pensée. On voit même qu’elle étouffe à demi ses sanglots pour ne pas se rendre trop importune à ce qu’elle aime. Cette première lettre après le départ a le désordre d’une âme où la douleur, comme dans une chambre vide, n’a pas encore rangé les traces éparses d’un déménagement.

« Ah ! ma douleur serait bien faible si je pouvais vous la peindre ; aussi je ne l’entreprendrai pas. J’ai beau chercher ma fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi !… Je m’en allai donc à cette chapelle de Sainte-Marie, toujours pleurant et toujours mourant ; il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et l’âme ; en effet, quelle rude séparation ! Je demandai la liberté d’être seule ; on me mena dans la chambre de madame de Houssuit, on me fit du feu. Agnès me regardait sans me parler ; c’était notre marché. J’y passai jusqu’à cinq heures sans cesser de sangloter ; toutes mes pensées me faisaient mourir. J’écrivis à M. de Grignan, vous pouvez juger sur quel ton ; j’allai ensuite chez madame de La Fayette, qui redoubla mes douleurs par l’intérêt qu’elle y prit : elle était seule et malade, et triste de la mort d’une sœur religieuse. Elle était comme je pouvais la désirer. M. de La Rochefou-