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MILTON.

mière de la divine présence brille pour moi d’un plus vif éclat ; Dieu me regarde avec plus de tendresse et de compassion, parce que je n’ai plus à voir que lui. Le malheur devrait me servir de protection contre les injures et me rendre sacré, non parce que je suis privé de la clarté du ciel, mais parce que je suis ainsi à l’ombre des ailes divines qui semblent produire en moi les ténèbres. J’attribue en effet à cela le redoublement d’assiduité de mes amis, leurs attentions consolantes, leurs fréquentes et cordiales visites, et leurs respectueuses déférences pour moi ! »

Mon dévouement à ma patrie, écrit-il au même ami, ne m’a guère récompensé ; c’est cependant ce doux nom de patrie qui me charme toujours. Adieu. Je vous prie d’excuser l’incorrection latine de cette lettre. L’enfant à qui je suis forcé de la dicter ne sait pas le latin, et je lui épelle chaque syllabe pour que vous puissiez lire dans mon âme. »

Sa dernière épouse, Élisabeth Minshal, et ses trois filles se relevaient auprès du poëte pour écrire, relire et corriger les chants de son poëme a mesure que son génie les lui inspirait. Il méditait ses vers dans la nuit et les dictait au lever du jour, avant que le bruit de la ville réveillée dans les rues vînt rappeler sa pensée aux choses terrestres. En entendant le bruit de la plume de ses filles sur le papier, il lui semblait dicter le testament quotidien de son génie, et déposer dans un lieu sur le trésor qu’il avait porté jusque-la dans sa pensée.

Le reste du jour, il se faisait lire les poëtes, la Bible, les histoires, où il se faisait conduire par une de ses filles dans les campagnes solitaires des environs de la ville, pour respirer l’air pur, et pour sentir au moins sur ses paupières les rayons de ce soleil qu’il ne voyait plus que par sa chaleur.

C’est au pied d’un chêne exposé au midi, sur la colline d’Hampstead, que Milton dicta un jour cette pathétique