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FÉNELON.

Il reprit et poursuivit pendant dix ans, à Paris, la direction de l’établissement qui lui était confié, mûrissant dans l’ombre un talent et une vertu qui devaient éclater bientôt. Il s’exerçait à parler et à écrire sur des choses saintes. Il composait, pour la duchesse de Beauvilliers, mère d’une jeune et nombreuse famille, un traité de l’éducation des filles. Ce livre, bien supérieur à l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, n’est point l’utopie, mais la pratique raisonnée d’une éducation domestique pour l’époque où Fénelon écrivait. On y sent le tact parfait d’un homme qui n’écrit pas pour être lu, mais pour profiter aux familles. Il entremêlait à ces travaux et à ces devoirs de sa profession des correspondances intimes pleines d’onction sainte et d’enjouement chaste avec ses amis. Il en avait déjà. un grand nombre ; le plus cher et le plus assidu de tous était le jeune abbé de Langeron, digne d’avoir associé sa mémoire à celle de Fénelon. Bossuet était pour lui plus qu’un ami, c’était un maître, mais un maître chéri autant qu’admiré. Ce grand homme, alors dans toute sa force et dans toute son autorité, qui croissait avec ses années, possédait non loin de Paris, à Germigny, une maison de campagne, délassement et délices de ses travaux.

Fénelon, l’abbé Fleury, l’abbé Langeron, l’élite de l’Église et de la littérature sacrée, suivaient Bossuet dans cette retraite ; ils partageaient ses loisirs sévères ; ils recevaient les confidences de ses sermons, de ses oraisons funèbres, de ses traités de polémique ; ils lui soumettaient leurs essais ; ils s’enrichissaient de ses entretiens familiers, dans lesquels cet homme de premier mouvement était plus sublime encore que dans sa chaire, parce qu’il était plus naturel. Une telle société d’intelligences mûrissait les pensées, agrandissait les vues, polissait le style, cimentait les cœurs. Germigny était un Tibur français, de génie, de philosophie et de sainteté, supérieur par les hommes et