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MILTON.

ces pages resteront-elles à jamais dans la mémoire des hommes.

Le peu de succès du Paradis perdu, au moment de sa publication, ne découragea pas le poëte ; la tristesse domestique était la misère chaque fois que le pain manquait à la maison. Sa femme et ses filles le conjuraient de chanter ou d’écrire pour tirer de ses pages quelque minime salaire nécessaire à l’entretien de la pauvre famille. C’est ainsi qu’il composa, comme son modèle, l’aveugle Homère, ses derniers vers et les plus belles de ses œuvres.

La vieillesse semblait donner un accent plus pathétique à sa voix. Son âme était comme ces instruments à cordes qui ont peu de son quand ils sortent des mains de l’ouvrier, mais que la vétusté du bois rend plus sonores, et dont ce qu’on appelle l’âme gémit plus mélodieusement dans le bois presque vermoulu de l’instrument.

On raconte même que les jeunes filles de Milton, quand elles avaient besoin d’un vêtement ou d’une modeste parure convenable à leur médiocrité, dérobaient dans les papiers du vieillard, et à son insu, quelques manuscrits dont des libraires faméliques leur donnaient une ou deux guinées pour se parer ou pour nourrir leur père.

Elles vendaient ainsi un a un tous les livres de sa bibliothèque, désormais inutiles, pour adoucir ses dernières années.

Sa femme, l’Ève sans crime de ce pauvre Éden domestique, dont il avait célébré la grâce, l’amour et la fidélité, sous le nom de la première épouse de l’homme, fut un modèle de dévouement au vieillard et de patience dans ses adversités. Elle se glorifiait de souffrir pour lui et avec lui. On ne sait quel pressentiment lui disait dans le cœur que cet aveugle, à demi proscrit et presque oublié de ses contemporains, portait en lui quelque vertu divine qui se répandrait sur sa mémoire et qui sanctifierait pour l’avenir