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MILTON.

eurent exhumé le poème de Milton et couronné le poëte, comme Inès de Portugal après sa mort, quelques curieux de gloire recherchèrent, dans leur obscurité, les descendants du grand homme. Déborah, sa fille chérie, vivait encore dans la maison du tisserand de Spitfields qui l’avait épousée. On lui présenta un portrait couronné de lauriers :

« O mon père ! ô mon cher père ! s’écria-t-elle en le reconnaissant et en l’embrassant, que ne peux-tu sortir du tombeau pour voir ta gloire tardive rejaillir sur le visage de ton enfant chérie ! »

Addison, le célèbre critique anglais, qui était en même temps ministre de la reine, obtint de cette princesse une gratification de cinquante guinées pour la pauvre Déborah.

Le grand poëte lyrique de l’Angleterre, Dryden, ayant lu le Paradis perdu, s’écria : « La mémoire de cet homme nous effacera tous ! » Dryden se trompait par enthousiasme. Il y avait plus d’engouement et de patriotisme que de vérité dans l’opinion qui exalta Milton au-dessus de tous les poëtes de la Grande-Bretagne, terre de poésie. Les Anglais étaient fiers de voir un poème épique, forme de poésie qui paraissait alors le chef-d’œuvre de l’esprit humain.

Les Français se firent plus tard la même illusion sur la Henriade. La Henríade est morte, le Paradis perdu vit encore et mérite de vivre par quelques unes de ses pages. Mais Milton devait baisser et Shakspeare grandir de siècle en siècle dans la postérité, parce que Milton était un imitateur et que Shakspeare était un créateur. Une scène de Roméo et Juliette révèle plus dame et contient plus de larmes que tout le Paradis perdu.

Le Tasse avait chanté le dernier des poëmes épiques. L’épopée, sorte d’apothéose, ou récit des héros historiques ou des dieux imaginaires, ne sied plus au monde moderne, qui cherche ses héros dans l’histoire et son Dieu par la rai-