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MADAME DE SÉVIGNÉ.

ou aux champs, dont le toit a caché tous ces berceaux pendant l’enfance de la famille, et dont l’ombre nous suit jusqu’aux derniers jours de la vie ; les mêmes traditions, ce ciment des idées qui tient ensemble les piétés, les habitudes, les mœurs, les sentiments innés du groupe héréditaire ; enfin les mêmes souvenirs des leçons, des entretiens, des travaux, des voisinages, des amitiés, des plaisirs, des hospitalités, de l’aisance, de la gêne, du bonheur, des larmes, des naissances, des morts, des espérances, tristes ou doux mystères du même foyer, tout cela compose, même à notre insu, autour de nos cœurs, une atmosphère d’impressions ineffaçables qui nous pénètre par tous nos sens moraux comme par tous nos sens corporels, atmosphère à laquelle il est impossible d’échapper, qui n’a pas la rigidité froide d’une législation sans doute, mais qui a la toute-puissance de la nature.

C’est ce qui fit que dans les temps primitifs, où tout était inné et rien écrit dans les sociétés naissantes, où les lois n’étaient que les inspirations de nos instincts, le souverain n’était que le père, la tribu n’était que la famille, et la nation n’était que la fraternité du sang dans une collection de tribus. On a pu détrôner le patriarche, on a pu réduire bien au delà du juste l’autorité paternelle, on a pu détruire la tribu et l’absorber dans l’État ; mais on ne pourra jamais détruire la famille ; elle subsistera éternellement comme l’heureuse protestation de la nature contre l’absorption de l’État, comme elle subsistera avec la propriété héréditaire, sa base divine, contre le communisme, cette révolte impuissante de l’utopie contre l’instinct.

On conçoit qu’un groupe d’êtres si distincts et si intimement liés les uns aux autres au milieu du grand groupe national, doit avoir non-seulement ses lois, ses mœurs, ses sentiments, ses devoirs, ses relations à part, mais même sa littérature. C’est cette littérature que nous avons