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MADAME DE SÉVIGNÉ.

dans un monastère ; elle s’attacha au saint, elle entretint avec lui une correspondance spirituelle ; elle fut fondatrice : elle devint sainte. C’est sous ce titre que son ordre la vénère aujourd’hui. Ses religieuses en ont fait leur patronne ; mais elle n’est ni celle des mères, ni celle des orphelins.

Ce fils, dont la baronne de Chantal avait franchi le corps pour quitter le monde, fut le père de madame de Sévigné. Il épousa Marie de Coulanges, fille d’un conseiller d’État. Remarque à la cour par son esprit, à la guerre par sa bravoure, dans quelques duels du temps par sa main prompte à l’épée, il mourut sur le champ de bataille contre les Anglais, à la Rochelle. Grégorio Léti, l’historien de ce temps, dit que M. de Chantal tomba sous l’épée de Cromwell lui-même. Trois chevaux tués sous lui et vingt-sept coups de lance sur le corps attestent son héroïsme.

Sa veuve lui survécut peu. Leur enfant n’avait que six ans à sa mort. Cette enfant, Marie de Rabutin-Chantal, qui devait être un jour le prodige des mères, ne connut ainsi aucune des tendresses de mère ; elle inventa la passion maternelle à elle seule. Son aïeule, la baronne de Chantal, tout absorbée dans la fondation de ses quatre-vingts monastères, relégua sa petite-fille orpheline aux soins de sa famille maternelle. On lui donna pour tuteur le vieil abbé de Coulanges, son oncle, qui possédait le prieuré de Livry, près de Paris. Cet oncle devint un père pour l’orpheline. On ignore comment ce vieux abbé, régulier sans rudesse, tendre sans faiblesse, éleva cette enfant sans mère ; mais, à quinze ans, une jeune fille accomplie en beauté, en grâce, en instruction sérieuse et en talents précoces, sortit de la solitude de Livry et éblouit, dès sa première apparition, le monde.

Ce qu’on appelait le monde alors, c’était la place Royale à Paris, quartier aristocratique renfermant, entre quatre rangs d’arcades ténébreuses, une place plantée de quel-