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MADAME DE SÉVIGNÉ.

au récit de ses contemporains, même sous les années et sous les larmes ; une physionomie si mobile et si fugitive qu’on peut lui prêter autant d’expressions qu’il y a de nuances dans les sentiments d’une âme féminine ; enfin un buste digne de porter cette tête, large aux épaules, fuyant aux bras, libre au sein, svelte à la ceinture, propre à donner à l’attitude ou à la démarche cette dignité, ce mouvement, cette cadence des pas, qui rendent la taille d’une femme, quand elle se lève, inexprimable en mesures et en nombres, mais qui font qu’elle remplit à vos yeux l’espace et qu’elle s’agrandit jusqu’au ciel. C’est ce prestige de l’atmosphère qui rend dans ses portraits madame de Sévigné plus grande que nature. On sent que le peintre, ébloui comme un amant, a voulu répandre autour de cette figure une atmosphère, et qu’il ne peint pas des contours bornés, mais une impression infinie, éparse et invisible autour de la beauté !

Telle était à dix-huit ans, et telle après quarante ans, cette physionomie où l’éblouissement du premier moment se changeait en attrait et en éternelle mémoire dans tous ceux qui la voyaient, ne fût-ce qu’une heure.

Il n’y eut qu’un cri à la cour sur la merveille de la maison de Coulanges. Cette faveur du monde n’altéra pas la modestie de la jeune fille. Elle avait contracté dans la solitude de son adolescence à Livry, dans la lecture des livres graves, dans la société des philosophes jansénistes, voisins et amis de son oncle, une réflexion précoce, une piété solide, des goûts d’esprit, des exercices d’études qui la rendaient plus apte à devenir une seconde Héloïse chez Fulbert qu’une favorite évaporée de cour. Son nom, sa grâce, sa fortune de trois cent mille francs, dot considérable pour le temps, son titre de fille unique, qui permettait aux aspirants à sa main de ne devoir son cœur qu’à sa préférence, la firent rechercher pour épouse par les fils des plus hautes