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MADAME DE SÉVIGNÉ.

preuves de son ingratitude. Pour conserver à ses enfants le portrait et les cheveux de celui qu’elle avait tant aimé, elle fut obligée de les demander à madame de Gondran, cette Lolo, cause de sa perte. Madame de Gondran lui remit ces cheveux et ce portrait, cruelles consolations ; en sorte que cette malheureuse veuve ne put jamais depuis regarder l’image de celui qu’elle adorait sans se retracer en même temps son abandon et son ingratitude !

Cette douleur fut si violente et si obstinée, que madame de Sévigné ne put jamais apercevoir de loin, dans les cercles ou dans les promenades, le chevalier d’Albret ou un des témoins du duel sans tomber en défaillance.

Sévigné avait été son premier amour, il devait être le dernier. De ce jour elle jeta un linceul sur son cœur, et l’ensevelit, pour ainsi dire, tout jeune et tout vivant, avec les cendres de son mari.

Une autre passion possédait déjà toute l’âme de madame de Sévigné : c’était celle de ses enfants, et surtout de sa fille. Elle renonça pour jamais à l’idée d’un second mariage, qui leur aurait donné un autre père. La pensée que ces deux chers fruits de son seul amour pourraient avoir des rivaux de tendresse dans son propre cœur dans les enfants d’un autre lit lui faisait horreur. Elle se dévoua entièrement à leur bonheur, à leur fortune, à leur éducation. La femme n’exista plus en elle ; il n’y eut plus que la mère. « J’ai effacé de ma mémoire toutes les dates de ma vie, écrit-elle dans sa vieillesse, je ne me souviens que de celle de mon mariage et de celle de mon veuvage. » Sous la tutelle de son oncle, le serviable abbé der Coulanges, elle s’occupa, pendant de longues années, à relever les ruines de sa modique fortune des dissipations de son mari, et à l’administration rurale de Bourbilly et des Rochers. Elle passait une partie de l’année avec l’abbé de Coulanges dans ces terres, le reste à Paris ou à Livry, séjour chéri de sa