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MADAME DE SÉVIGNÉ.

vidence invisible attachée aux mêmes chaînes que lui et prête à vivre de la même vie ou à mourir de la même mort.

Au 19 décembre 1664 soir, elle écrit : « Louez Dieu, monsieur, et le remerciez, notre pauvre ami est sauvé. Je suis si aise que je suis hors de moi… Je mourais de peur qu’un autre que moi vous eût donné le plaisir d’apprendre la bonne nouvelle. De longtemps je ne serai remise de la joie que j’eus hier. »

Lorsque madame de Sévigné apprit que le roi avait aggravé la sentence d’exil en prison perpétuelle à Pignerol, elle écrit : « Mais non ; ce n’est point de si haut que cela vient. De telles vengeances rudes et basses ne sauraient partir d’un cœur comme celui de notre maître. On se sert de son nom, et on le profane comme vous voyez. Je vous manderai la suite. »

Le mardi 23, elle écrit sur un autre ton : « On espère toujours des adoucissements, je les espère aussi ; l’espérance m’a trop bien servie pour l’abandonner. Ce n’est pas que, toutes les fois qu’à nos ballets je regarde notre maître, ces deux vers du Tasse ne me reviennent à la tête :

Goffredo ascolata, e in rigida sembianza
Porge più di timer che di speranza.

» Cependant je me garde bien de me décourager ; il faut suivre l’exemple de notre pauvre prisonnier : il est gai et tranquille ; soyons-le aussi. »

Ainsi, malgré l’arrêt de Louis XIV, la conscience des juges sauva la tête de Fouquet. Il fut donc condamné à l’exil perpétuel. Le roi trouva la peine trop douce et la liberté de Fouquet trop dangereuse, même hors du royaume ; il interpréta despotiquement l’arrêt, et le changea de sa pleine autorité en une prison perpétuelle dans la forteresse de Pignerol. Tout le monde l’oublia, excepté madame