Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
MADAME DE SÉVIGNÉ.

mademoiselle de Sévigné sa passion réelle pour madame de Montespan.

Cette fausse faveur ne servit heureusement qu’à la fortune du fils de madame de Sévigné. Ce jeune homme, doué de toute la bravoure de son père et de toutes les grâces de sa mère, n’occupait dans le cœur de madame de Sévigné que le peu de place qu’y laissait sa fille. Les grandes passions ne souffrent pas le partage. Cette mère aimait, mais avec la négligence d’un cœur trop plein d’un autre sentiment exclusif. Le baron de Sévigné, caractère souriant, tolérait sans envie cette négligence de sentiment de sa mère pour lui. Il se rangeait volontairement au second rang dans son cœur ; soit amour pour cette mère dont il aimait jusqu’à l’injustice, soit habitude prise de bonne heure de n’occuper dans la famille qu’un rang cher mais subalterne, soit admiration pour cette sœur qui avait accoutumé depuis son berceau tous les familiers de madame de Sévigné à l’enthousiasme, il s’accommodait complaisamment de cette seconde place ; il était le courtisan plus que le fils et le frère de sa mère et de sa sœur. Il amusait et intéressait cette mère plus qu’il ne la passionnait. Elle songeait cependant à sa fortune militaire. Son éducation forte et littéraire, sous les soins d’une mère si supérieure, le plaçait au niveau de toute la jeunesse de son âge. Il avait vingt ans, il attendait une occasion de se signaler à l’attention du roi, elle se présenta.

Les Turcs assiégeaient depuis vingt-quatre ans la capitale de la Crète, Candie, défendue par les Vénitiens. La vieille alliance de la France et de la Turquie pour contrebalancer la maison d’Autriche empêchait Louis XIV de porter secours aux Vénitiens ; d’un autre côté, l’antipathie religieuse des chrétiens contre les musulmans faisait rougir le roi très-chrétien de laisser succomber le dernier rempart du christianisme dans la Méditerranée, sans lever le bras