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MADAME DE SÉVIGNÉ.

qu’ils lui avaient apporté et que leur inconstance avait tourné en ruine.

Le départ de son fils pour une expédition si capricieusement conçue et si capricieusement abandonnée coûta quelques larmes a madame de Sévigné, mais ces larmes furent promptement séchées par un sourire de sa fille. Rien ne manquait profondément à son cœur tant que sa fille lui restait. Sa tendresse même a un accent léger quand elle parle à ses amis de cette absence de son fils.

« Je crois que vous ignorez, écrit-elle, que mon fils est allé en Candie avec le duc de La Feuillade et le comte de Saint-Paul : cette fantaisie lui est entrée fortement dans la tête ; il en a parlé au cardinal de Retz, à, M. de Turenne, à M. de La Rochefoucauld. Voyez quels personnages ! J’en ai pleuré amèrement, j’en suis sensiblement affligée ; je n’aurai pas un moment de repos pendant tout ce voyage ; j’en vois tous les périls ; j’en suis morte ; mais enfin je n’ai pas été maîtresse, et, dans ces occasions-là, les mères n’ont pas beaucoup voix au chapitre. »

Quand on compare cette légère mention du départ de son fils pour une campagne où l’héroïque héritier des Sévigné allait braver le fer, et le feu, et la mer, sans beaucoup de chances de retour, avec les explosions de larmes, d’anxiété et de désespoir de la même femme lorsque sa fille entreprend le moindre petit voyage en province par un jour de pluie, on a la mesure du sentiment de cette mère pour son fils ou pour sa fille. Ce fils cependant méritait mieux d’une telle mère. En partant pour l’île de Crète, il avait de lui-même donné à madame de Sévigné sa signature en blanc pour consentira tous les avantages de fortune qu’il lui conviendrait de faire à sa sœur, dans les stipulations matrimoniales qui pourraient intervenir en son absence.

L’heure désirée et redoutée qui allait séparer la fille de