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jocelyn.

Et qu’un brouillard glacé, rasant ses pics sauvages,
Comme un fils de Morven me revêtait d’orages,
Si, quelque éclair soudain déchirant le brouillard,
Le soleil ravivé me lançait un regard,
Et d’un rayon mouillé, qui lutte et qui s’efface,
Éclairait sous mes pieds l’abîme de l’espace,
Tous mes sens, exaltés par l’air pur des hauts lieux,
Par cette solitude et cette nuit des cieux,
Par ces sourds roulements des pins sous la tempête,
Par ces frimas glacés qui blanchissaient ma tête,
Montaient mon âme au ton d’un sonore instrument
Qui ne rendait qu’extase et que ravissement ;
Et mon cœur à l’étroit battait dans ma poitrine,
Et mes larmes tombaient d’une source divine,
Et je prêtais l’oreille et je tendais les bras,
Et comme un insensé je marchais à grands pas,
Et je croyais saisir dans l’ombre du nuage
L’ombre de Jéhovah qui passait dans l’orage,
Et je croyais dans l’air entendre en longs échos
Sa voix, que la tempête emportait au chaos ;
Et de joie et d’amour noyé par chaque pore,
Pour mieux voir la nature et mieux m’y fondre encore,
J’aurais voulu trouver une âme et des accents,
Et pour d’autres transports me créer d’autres sens !


Ce sont de ces moments d’ineffables délices
Dont Dieu ne laisse pas épuiser les calices,
Des éclairs de lumière et de félicité
Qui confondent la vie avec l’éternité.
Notre âme s’en souvient comme d’une pensée
Rapide, dont en songe elle fut traversée.
Ah ! quand je les goûtais, je ne me doutais pas
Qu’une source éternelle en coulait ici-bas !