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troisième époque.

De la grotte, 20 septembre 1793.

Je ne sens plus le poids du temps ; le vol de l’heure
D’une aile égale et douce en s’écoulant m’effleure ;
Je voudrais chaque soir que le jour avancé
Fût encore au matin à peine commencé ;
Ou plutôt, que le jour naisse ou meure dans l’ombre,
Que le ciel du vallon soit rayonnant ou sombre,
Que l’alouette chante ou non à mon réveil,
Mon cœur ne dépend plus d’un rayon de soleil,
De la saison qui fuit, du nuage qui passe ;
Son bonheur est en lui. Toute heure, toute place,
Toute saison, tout ciel, sont bons quand on est deux.
Qu’importe aux cœurs unis ce qui change autour d’eux ?
L’un à l’autre ils se font leur temps, leur ciel, leur monde ;
L’heure qui fuit revient plus pleine et plus féconde ;
Leur cœur intarissable, et l’un à l’autre ouvert.
Leur est un firmament qui n’est jamais couvert.
Ils y plongent sans ombre, ils y lisent sans voile ;
Un horizon nouveau sans cesse s’y dévoile ;
Du mot de chaque ami le retentissement
Éveille au sein de l’autre un même sentiment ;
La parole dont l’un révèle sa pensée
Sur les lèvres de l’autre est déjà commencée ;
Le geste aide le mot, l’œil explique le cœur,
L’âme coule toujours et n’a plus de langueur ;
D’un univers nouveau l’impression commune
Vibre à la fois, s’y fond, et ne fait bientôt qu’une.