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quatrième époque.

Mars 1795.

Pour nous conserver purs la nuit, sous l’œil de Dieu,
Après avoir prié nous nous disons adieu,
Et chacun va chercher sa couche solitaire,
Elle sous le rocher, moi dehors sur la terre,
Dans un abri de mousse et de feuillage, obscur,
Que je me suis creusé sous le rebord du mur.
Là, comme un chien fidèle, au seuil de son asile,
Je lui garde sa vie et son sommeil tranquille ;
Rien ne pourrait venir la troubler du dehors,
Sans m’éveiller moi-même et passer sur mon corps.
Oh ! que j’aime à sentir, sous la pluie ou la neige,
Que des rigueurs de l’air cet abri la protége ;
Que je garde à ce prix cet ange du Seigneur,
Sacrée et toute à lui jusqu’au jour du bonheur,
Jusqu’à l’heure où son bras, qui bénit ce qui s’aime,
Dans mon sein altéré la jettera lui-même !
Quelle douce pensée ! Ah ! oui, mais quel effort
De savoir qu’elle est là, là, si près ; qu’elle y dort,
Qu’elle y veille peut-être, et, par l’amour bercée,
S’y retourne cent fois sous la même pensée ;
Que l’ange de Dieu seul voit ses chastes appas ;
Qu’entre le ciel et moi je n’aurais qu’un seul pas !
Oh ! que de fois chassé de ma brûlante couche,
Le cri de mes désirs étouffé sur ma bouche,
Ainsi qu’un insensé qui se lève la nuit,
Fuyant dans les frimas l’image qui me suit,