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jocelyn.

» Puis, attendant cette heure où dans la matinée
» Au service des morts la messe est destinée,
» Et chargeant sur mon dos ce cher et sacré poids,
» J’allai prendre mon rang, seul, au bout des convois.
» Mais, de tous les quartiers éloignés de la ville,
» Les tombereaux venaient s’encombrer à la file,
» Hélas ! et dans leur mort, comme de leur vivant,
» Les plus riches, monsieur, passaient encor devant.
» Repoussé le dernier, toujours de bière en bière,
» Courbé sous mon fardeau, je me traînais derrière ;
» L’église était déjà remplie, et le cercueil,
» Sans cortége et sans pleurs, fut repoussé du seuil.


» Deux jours entiers, monsieur, d’églises en églises,
» Je tentai d’obtenir les prières promises,
» Ou de surprendre au moins, saintement importun,
» La bénédiction que l’on donne en commun ;
» Et deux jours, mendiant en vain la sépulture,
» Dans la chambre sans lit, sans feu, sans nourriture,
» Je rapportai plus lourd mon fardeau de douleur…
» Enfin, Dieu me fit naître une pensée au cœur.
» Allons, dis-je en moi-même, à la montagne ! Un prêtre
» Là-haut par charité la recevra peut-être,
» Et, prenant en pitié ma misère et mon vœu,
» Lui bénira gratis sa terre au champ de Dieu.


» Je repris sur mon dos ma charge raffermie ;
» Je sortis dans la nuit de la ville endormie,
» Comme un voleur furtif, tremblant au moindre bruit,
» Par l’ange de ma femme à mon insu conduit,
» M’enfonçant au hasard dans la gorge inconnue,
» Me guidant sur le son des cloches dans la nue,
» Sous le poids de mon âme et de trois jours de mort
» Pliant à chaque pas, succombant sous l’effort,