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notes.

chèrent les uns des autres les grains de sable de cette route, et les changèrent en têtes acérées d’énormes pitons de glace. Au-dessus de cette mer polaire, d’immenses nappes de neige, blanches sur le ciel bleu, tourbillonnaient par instants, et le bruit des avalanches tonnait sur le glacier. À ma gauche, les Alpes du Faucigny dentelaient l’horizon de leur profil neigeux et crénelé ; et près de moi, à l’extrémité du col Joly, la pointe verte des Aiguilles, mélancoliquement inclinée, semblait une humble fille des montagnes agenouillée aux pieds de son roi.

» C’est en face d’un tel horizon, mon ami, dans cette nature des régions élevées, où la solitude est souveraine, où la sourde plainte des avalanches alterne seule avec le rondement éloigné de quelque chute d’eau invisible ; c’est à cette distance du monde, où nulle exhalaison des plaines ne saurait atteindre, où les souvenirs de la vie sociale s’échappent eux-mêmes de l’esprit, qu’un resserrement inattendu comprime : c’est à ce moment qu’il faut interroger son regard, interroger sa pensée, interroger son cœur, et se demander s’il n’y a point de Dieu ? J’admets que ce puisse être une question, là où ailleurs ; je l’admets un instant, laissant à l’intelligence débile une fleur, un insecte, pour lui témoigner surabondamment de l’existence du Créateur ; j’écarte aussi les voix intérieures de la conscience, je veux une preuve matérielle qui soit frappante aux yeux de tous ; et je dis que le spectacle majestueux et sévère de ces montagnes garde des enseignements formidables pour l’intelligence la plus grossière, si pervertie qu’elle soit. Nul n’est ici l’homme de son siècle ; chacun y redevient l’homme de tous les temps, a dit un penseur des Alpes solitaires. Laissez-moi ajouter qu’à perdre l’esprit sceptique d’une époque civilisée, on a vite regagné la foi, cet ange gardien des pasteurs de la Bible. »


Voici le second fragment ; c’est le reflet et l’impression du crépuscule dans les montagnes.


«… Au moment où je vous écris, le mont Blanc et le petit Saint-Bernard baignent d’un dernier rayon de jour leurs neiges immaculées : la nuit monte comme une brume des vallées enfouies dans l’ombre ; les troupeaux rentrent aux étables ; une corne de pâtre souffle sa note dolente à travers les hauteurs, d’où tombe par intervalles le mugissement lointain de quelque vache attardée au pâturage ; il se lève dans l’air une haleine imprégnée d’odeurs aromatiques ; le bleu du ciel brunit ; les étoiles scintil-