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prologue.

J’arrive, et frappe en vain : le gardien du foyer,
Son chien même, à mes coups ne vient pas aboyer ;
Je presse le loquet d’un doigt lourd et rapide,
Et j’entre dans la cour, aussi muette et vide.
Vide ? Hélas ! mon Dieu, non ; au pied de l’escalier
Qui conduisait de l’aire au rustique palier,
Comme un pauvre accroupi sur le seuil d’une église,
Une figure noire était dans l’ombre assise,
Immobile, le front sur ses genoux couché,
Et dans son tablier le visage caché.
Elle ne proférait ni plainte ni murmure ;
Seulement, du drap noir qui couvrait sa figure
Un mouvement léger, convulsif, continu,
Trahissait le sanglot dans son sein retenu.
Je devinai la mort à ce muet emblème :
La servante pleurait le vieux maître qu’elle aime.
— « Marthe ! dis-je, est-il vrai ?… » Se levant à ma voix,
Et s’essuyant les yeux du revers de ses doigts :
— « Trop vrai ! Montez, monsieur ; on peut le voir encore :
» On ne doit l’enterrer que demain, à l’aurore.
» Sa pauvre âme du moins s’en ira plus en paix,
» Si vous l’accompagnez de vos derniers souhaits.
» Il a parlé de vous jusqu’à sa dernière heure :
» — Marthe, me disait-il, si Dieu veut que je meure,
» Dis-lui que son ami lui laisse tout son bien
» Pour avoir soin de toi, des oiseaux et du chien. —
» Son bien ! N’en point garder était toute sa gloire :
» Il ne remplirait pas le rayon d’une armoire.
» Le peu qui lui restait a passé sou par sou
» En linge, en aliments, ici, là, Dieu sait où.
» Tout le temps qu’a duré la grande maladie,
» Il leur a tout donné, monsieur, jusqu’à sa vie ;
» Car c’est en confessant, jour et nuit, tel et tel,
» Qu’il a gagné la mort. — Oui, lui dis-je, et le ciel ! »