Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 41.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
CHAPITRE PREMIER.

Cette villa n’avait pour tout édifice qu’une tour monumentale élevée à une hauteur pyramidale au-dessus des sapins les plus sylvestres et les plus sombres. La destination romanesque et pieuse de ce monument extraordinaire et mystérieux ajoutait à cette vue un intérêt qui sacrait pour ainsi dire le bois et la pierre. On disait que le marquis Torregiani, très-bel homme, au visage toscan voilé par une empreinte de tristesse, y venait tous les jours.

Je le voyais souvent entrer seul dans son jardin, fermé aux curieux ; j’étais à portée de contempler ce pèlerinage d’amour et de douleur dont on chuchotait tout bas le motif. L’amour en Italie, comme on peut le voir par la Béatrice de Dante et par la Laure de Pétrarque, est le plus avoué et en même temps le plus sérieux des sentiments de l’homme. La femme elle-même, souvent si légère ailleurs, y est dépourvue de toute coquetterie, ce vain masque d’amour, et de toute inconstance, cette satiété du cœur qui se lasse avant la mort des attachements conçus avec réflexion. Les liaisons sont des serments tacites que la morale peut désapprouver, mais que l’usage excuse et que la fidélité justifie. Le marquis Torregiani avait conçu et cultivé dès sa jeunesse une passion de cette nature pétrarquesse pour une jeune et ravissante femme de race hébraïque, mariée à un banquier florentin. Cette passion était réciproque et ne portait aucun ombrage au mari. Le cavalier servant et l’époux, selon l’usage aussi du pays, s’entendaient pour adorer, l’un d’un culte conjugal, l’autre d’un culte de pure assiduité,