Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/283

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années de servitude volontaire, comme Jacob. Jamais union ne présenta un spectacle plus touchant et plus continu de bonheur. Le culte de Bernardin de Saint-Pierre était encore vivant dans cette maison : son image était partout, ses maximes sur les lèvres, sa mémoire dans les deux cœurs. Le mari et la femme se sentaient également ses enfants ; ils m’aimèrent surtout parce que j’aimais moi-même Bernardin de Saint-Pierre : ma mère l’avait connu ; elle m’avait nourri de ses Études de la Nature et de ses poèmes, si simples qu’ils sont le lait des enfants comme le vin des vieillards.

Aimé Martin est mort quelque temps avant notre dernière révolution. Il avait le pressentiment des grandes révélations que Dieu fait aux hommes par ces événements, plus forts qu’eux. Les monarchies et les républiques lui étaient indifférentes ; mais il croyait à l’avènement progressif des vérités nouvelles en tout genre, et il priait Dieu de les répandre sur l’humanité avec le moins de foudres possible sur les nouveaux Sinaïs.

J’étais à Paris, je serrais sa main mourante : il me dit, en nous séparant, ces deux mots, les derniers qu’il ait prononcés avant les balbutiements des derniers rêves : « Courage et espérance en Dieu ! » Je les entends encore, je les entendrai toujours. Je le conduisis à sa dernière demeure, et je prononçai, le pied sur sa tombe, l’adieu de ses nombreux amis. Ce sont les seules paroles que j’aie jamais prononcées sur une tombe, où Dieu seul doit parler ; mais il fallait une voix à tant de larmes, et ses amis voulurent ma voix.

Qu’il assiste en paix à nos efforts, et qu’il nous redise encore, du haut du ciel : « Courage et espérance ! » La France a besoin des deux.