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Aller d’un vers brûlant tout à coup rallumer
Ces feux dont leurs débris semblent encor fumer,
Ces feux de la vertu, de l’honneur, du courage,
Que recouvrent en vain dix siècles d’esclavage ?
Comment, redescendu de ce brillant séjour,
Dans les bois de Meudon viens-tu chanter l’amour ?
Franchissant d’un seul trait tout l’empire céleste,
Le génie est un aigle ; et ton vol nous l’atteste !

Relégué loin des bords où tout Paris charmé
Voit le fier Manlius en bourgeois transformé,
Obéissant aux cris d’un parterre idolâtre,
Livrer ton nom modeste aux bravos du théâtre,
Je n’ai point encor lu ces chants que par ta voix
Messène a soupirés pour la troisième fois.
En vain l’écho léger que chaque jour publie,
Oracle du matin que le soir on oublie,
A porté jusqu’à moi quelques lambeaux de vers,
Quelques sons décousus de tes brillants concerts :
Dans ma soif des beaux vers, que ton nom seul rallume,
J’ai dévoré la page, et j’attends le volume.
On dit que dans ces chants ton génie exalté
Prêche à des convertis l’antique liberté ;
On dit qu’après trente ans d’esclavage et de crimes
Cette divinité respire dans tes rimes
Les parfums épurés d’un chaste et noble encens ;
Que son nom dans ta bouche a repris son beau sens,
Et que, de trois pouvoirs lui formant un trophée,
De son bonnet sanglant la main l’a décoiffée.
Ah ! j’en rends grâce à toi ! nous pourrons adorer
Celle qu’avant tes vers il nous fallait pleurer.
Son culte entre tes mains est pur et légitime :
Tu renierais tes dieux, s’ils commandaient le crime.